Blog

Article: Le sexe virtuel au féminin: Anti-féministe ou pro-liberté?

leave a comment »

second

Club de danseurs/danseuses sur Second Life

Barbie frappe la cinquantaine, mais l’ère de la poupée de plastique est bel et bien révolue. De nos jours, des femmes de tous âges se « barbiefient » dans des jeux virtuels en ligne, se créant un personnage et une image sexuels dans un monde plus libre que la réalité physique. Après un siècle de féminisme ardu, elles cherchent des moyens divers d’emprunter des voies souvent méprisées dans les sociétés occidentales, par la porte et l’anonymat de l’Internet.

Un jeu virtuel, ou Massive Multiplayer Online Role Play Game (MMORPG), est une communauté qui se crée et évolue en ligne, permettant à des individus d’interagir en direct sur une plateforme virtuelle. On s’y crée un personnage (ou avatar), qui fera partie de groupes et sous-groupes dans la communauté virtuelle, on lui donne une mission, des objectifs. Dans le cas de Second Life (SL), la notion de jeu est plus subtile puisque plusieurs y trouvent un emploi rémunéré, certains pour se permettre de consommer à l’intérieur du jeu et d’autres pour financer leur « vraie vie ». Il n’y a aucune victoire possible, le seul but étant d’exister dans ce monde, la réussite étant basée sur le plaisir de la participation. Il est difficile de passer à côté de la scène sexuelle de SL, et bien que cet aspect ne soit pas la raison première de s’inscrire au jeu, il devient vite un objet de curiosité et d’expérimentation.

Le sexe SL est assez simple d’exécution: deux avatars (humains ou autres) s’installent sur des balles de positionnement qui activent les personnages en une série de mouvements plus ou moins suggestifs et complexes. L’effet peut dépendre de la qualité des graphiques (car il faut payer pour acheter à notre bonhomme un plus joli corps, une plus jolie peau) et bien sûr de l’intérêt et de l’investissement émotif de chacun des partenaires. C’est ainsi que plusieurs femmes ont décidé de se spécialiser dans la prostitution virtuelle, pour devenir des danseuses ou des « SLescortes ». Clavardage, voice chat, avatars magnifiques, ces personnes s’achètent une image et la mettent à profit. La plupart n’en vivent pas et pratiquent ces activités plus comme un passe-temps qu’un travail. La majorité féminine est évidente: sur les sept services d’escortes consultés dans le jeu, seulement trois offraient les services d’escortes masculines, avec une proportion de 9 avatars féminins pour un masculin. Chacun peut y trouver chaussures à son pied : des services dans toutes les langues, des gens de tous les pays, de toutes les orientations et préférences.

Pour le plaisir et pour l’argent

« Je voulais m’acheter des chaussures et des vêtements [dans SL] et c’est comme ça que j’ai commencé à faire du striptease » confie LadyFarrah Giano (nom sur SL), une jeune étudiante de 21 ans de l’Indiana aux Etats-Unis. LadyFarrah est escorte virtuelle sur SL depuis deux ans, la dernière année passée à offrir ses services en voice chat. Elle gagne ainsi entre 500 et 1500 $US par mois, ce qui lui permet de subvenir à ses besoins pendant ses études. La plupart de ses collègues, elles, le font par contre bien plus pour le plaisir que pour les billets, puisque la rentabilité ne vient pas sans un énorme investissement de temps. « J’aime faire l’escorte, j’aime être le centre d’attention des hommes, connaître de nouvelles personnes…. Cela assouvit mes désirs sexuels et me donne aussi confiance en moi » ajoute-t-elle. « Peu importe le scénario qu’on joue, mes clients me traitent comme une déesse, pas comme un objet. »

Non seulement joue-t-on un rôle en étant sur SL, mais les rapports se font aussi par des mises en scène, des scénarios. Avant les vampires et les reconstructions médiévales, ce sont les groupes de soumission-dominance qui font le poids sur SL. Avec des habits et des animations programmées spécialement à cet effet, les femmes ont souvent le rôle d’esclave, au service d’un autre avatar, et ce plus souvent que les hommes. Elles choisissent volontairement de jouer ce rôle: indifféremment de leur provenance géographique et culturelle, les femmes participent activement à ces simulations. Cette image d’objet sexuel est pourtant déplorée dans la vraie vie. Entre l’image qu’on veut avoir dans notre quotidien, la femme de famille, la femme de carrière, et les fantasmes sexuels qui ne s’y conforment pas, il n’y a maintenant qu’un écran d’ordinateur.

« Je fais ça pour le plaisir et aussi pour satisfaire ma curiosité » avoue Psy Copperfield, une femme de 44 ans de San Diego aux Etats-Unis, qui n’existe sur SL que depuis quelques jours. Elle s’est déjà procuré un appartement virtuel, ainsi que quelques autres jouets sexuels aux allures néo-gothiques. « SL est un bon endroit pour vivre mes fantasmes, des choses que je ne ferais pas dans la vraie vie, par gêne, par manque de confiance en moi; ici tout est permis, il n’y a pas de jugement et pas de conséquence » explique Psy. Infirmière en psychiatrie, elle ne connaissait rien du milieu sexuel de SL en s’y inscrivant et perçoit cette culture plus comme un jeu, une autre forme d’expression qu’une soupape à déviance : « on y rencontre des gens de partout et on se rend compte qu’on a les mêmes envies, les mêmes intérêts, que les gens viennent du Japon ou de l’Amérique du Sud… Finalement, nous cherchons tous sur SL quelque chose de différent et c’est ce qui nous rapproche. »

Le désir féminin: une réceptivité narcissique

Meredith Chivers, professeur de psychologie à l’Université Queen en Ontario, s’est penchée sur la sexualité et le désir féminins. Elle a remarqué que, bien que très présent, le désir sexuel féminin s’exprime extérieurement de manière plus passive que l’érection masculine. L’agressivité n’est donc pas une source de motivation sexuelle chez la femme. Les recherches de Mme Chivers ont été résumées notamment dans un article du New York Times Magazine publié le 25 janvier dernier. « Il ne serait pas sensé d’avoir des forces similaires. On a besoin de complémentarité. Et j’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de très puissant pour le désir féminin dans le fait d’être voulue, cet élément de réceptivité. » conclue-t-elle.

La femme ne perd donc pas le contrôle de sa sexualité en se prêtant à des activités suggestives, à des jeux de rôle érotico-pornographiques en ligne. Cela pourrait être une manière de prendre en main son désir et de l’assumer. Dans le quotidien, cela pourrait être mal perçu par les autres femmes ou en contradiction avec ses propres ambitions professionnelles ou personnelles. Cette personnalité sexuelle que se donne la femme semble aussi aller à l’encontre du combat social contre l’objectivation du corps féminin. Le fantasme des relations avec un étranger, avec plusieurs hommes, celui de la soumission, sont pour la plupart des fantasmes que les femmes ne voudraient pas mettre en pratique même si le scénario les excite. « Être excitée ne veut pas dire être consentante » précise Mme Chivers. SL et les mondes virtuels sont des lieux où il est possible de vivre les expériences qui nous font réagir mais que nous n’accepterions jamais de faire avec notre véritable corps.

Cette voie ne rejette en rien les autres aspects des contacts humains: l’apparence est importante, certes, mais elle ne constitue pas la base des relations virtuelles. Tout ce fait davantage par les mots, au biais du clavardage ou du voice chat. On y prise l’humour, l’intelligence, les atomes crochus. Inciter au désir sexuel verbalement, parfois intellectuellement, est loin de la présumée réaction pavlovienne que peut provoquer une image pornographique et participe entièrement à cette envie d’être désiré. Selon les sexologues, se donner la possibilité de mettre en pratique virtuellement ses fantasmes sans compromettre ce qui lui est cher peut être bénéfique pour la femme. C’est aussi un pas en ce qui concerne la prise en main de sa sexualité, une sexualité qu’on a tenté de contrôler dans la plupart des sociétés humaines depuis des siècles.

Ce phénomène fait remonter à la surface l’éternel débat nature – culture, un débat qui est pratiquement impossible à solutionner. Les femmes participent-elles à l’objectivation de leur corps? Agissent-elles ainsi pour leur propre plaisir ou sont-elles déterminées culturellement à plaire? La liberté que peut offrir les mondes virtuels et ce qu’on y observe montrent bien qu’il est difficile de différencier les choses de cette manière. Plusieurs recherches sur la sexualité féminine, dont celles de Mme Chivers, avancent aussi que la femme réagit physiquement à des stimulations sexuelles taboues, comme l’objectivation de leur corps et que l’influence du social est soit minime soit beaucoup trop ancrée dans nos mœurs pour être étudiée séparément de nos comportements biologiques.

La plupart des participantes dans les jeux virtuels viennent de l’Occident, ou de milieu occidentalisé comme le Japon. Ce sont elles qui ont les moyens et la possibilité d’utiliser Internet, mais les différences de religion, d’âge ou de langue ne semblent pas jouer dans le choix des comportements en ligne. Les gens se regroupent plus autour d’intérêts communs que de valeurs culturelles semblables et la vitalité de la scène sexuelle de Second Life est un bon indice de l’universalité de ce penchant et de ce besoin.

Réalité et virtualité

On pourrait avancer que ce qui se passe dans les mondes virtuels n’est pas du domaine du réel mais ce serait accorder une place primordiale au matériel dans notre quotidien. Virtuel est utilisé comme un synonyme de « online » sur ces plateformes de jeu, la vraie vie faisant référence aux activités qui ne se passent pas en ligne. Ce n’est pas tant une dichotomie dans la qualité des expériences, dans leur valeur, que sur les lieux où ces activités sont pratiquées. Les comportements sexuels y sont tout autant dénués ou chargés d’émotions que dans la vraie vie, et c’est pourquoi ils ont parfois causé des ruptures de couple, pour adultère virtuel. Il peut sembler pathétique de vouloir avoir une vie parallèle, mais les jeux virtuels sont aussi une nouvelle façon de s’exprimer et de se regrouper, un médium vers lequel de nombreuses personnes se tournent.

Depuis sa création en 1999 par un groupe de Californiens, Second Life a attiré plus de 15 millions de personnes, dont 1,5 million se connectent à tous les 60 jours. En moyenne, à chaque heure de la journée, 65 000 personnes sont en ligne. C’est véritablement tout un monde qui se vit en ligne, une société qui se crée tranquillement ses propres règles et sa propre culture. Et c’est sans compter les autres MMORPG comme Worlds of Warcraftt ou The Sims. Vu l’ampleur du phénomène, on ne peut généraliser les raisons qui ont mené à la création de ces mondes, mais on ne peut pas non plus se fermer les yeux sur ce milieu en plaine expansion.

par Sarah Pisanu

Written by Sarah Pisanu

13 juillet 2009 à 3 h 19 mi

Laisser un commentaire